L'amour naît des flammes

Je m'appelle Kevin. J'ai quarante ans. J'avais choisi ma vie... et puis qu'importe. J'ai lâché prise.

J'ai passé vingt-trois ans dans les flammes, le sang, la douleur et les cris. Cet enfer m'a tout donné... puis m'a tout repris. Cet enfer s'est rappelé à moi et n'est maintenant plus que ma seule raison d'être. Avant... j'ai presque oublié ce qu'il y avait eu avant. Et pourtant... Et pourtant je me souviens...

Je me souviens de cette jeune pompier volontaire fraîchement arrivée à la caserne il y a quatorze ans. Il n'avait fallu que quelques semaines pour que nos sentiments ne soient exprimés vigoureusement dans les toilettes de la salle des fêtes lors du bal annuel des soldats du feu. Nous étions alors devenus inséparables. Cela avait duré cinq ans. Cinq ans de bonheur partis en fumée dans l'incendie d'une ferme. Nous formions un binôme d'attaque dans le grenier. Le plancher n'a pas résister sous son poids et sous mes yeux.
Après plusieurs heures de lutte acharnée, mon âme était à l'image de cette ferme : éteinte et noire.

Depuis j'accomplis mon devoir sans goût, le cœur lourd. Jusqu'au jour où une jeune pompier volontaire, ressemblant à s'y méprendre à ma compagne d'infortune, prit ses quartiers dans la caserne. Blonde, svelte, toujours le sourire et la joie de vivre aux lèvres... Était-ce elle ? C'était impossible ! Et cependant...

Elle était la même. Contrairement à moi rien n'était changé. Son âme encore innocente contrastait parfaitement avec la mienne. Mais quelles ne furent pas ma surprise et ma terreur d'apprendre que nous formerions un binôme... Le soir venu, troublé, je me jurais de ne pas répéter l'histoire !

Je commence depuis peu en tant que pompier volontaire dans cette caserne. On me met avec un vieux briscard qui en a vu beaucoup. Je sens qu'il a vécu beaucoup d'événements mais il y en a plus important que les autres.
J'espère que notre binôme se passera bien et que je peux lui confier ma vie sans appréhension. Pour l'instant, je suis loin de lui faire confiance. Il est trop méfiant et il ne se confie pas du tout.
Je vais essayer de me renseigner auprès de ces collègues si ils peuvent m'en dire plus sur cette blessure qui le ronge énormément.

Dans les vestiaires, debout face à la glace, je me passe de l’eau glacée sur le visage.
Six heures du matin. Pas dormi de la nuit. Plus que d’habitude les fantômes du passé m’ont assailli. Cette jeune femme...

J’ai toujours été le premier à arriver à la caserne le matin. Sauf quand j’étais en couple. Nous arrivions en même temps alors, voire même parfois elle me devançait.
Quelle ne fût pas ma surprise alors de manquer de rentrer dans ma nouvelle binôme à la sortie des vestiaires !

«  - Oh ! Désolée. »
Puis d’ajouter timidement :
«  - Bonjour. Une belle journée qui s’annonce n’est-ce pas ? »

Je grommelais quelque chose en guise de réponse et parti m’enfermer dans mon bureau.

Face à la photo d’un couple heureux qui n’était plus le mien et qui ornait mon bureau telle une pierre tombale, je me mis à broyer du noir. On souriait, nos visages noirs de suie, devant un appartement en ruine. Notre cinquième intervention en binôme. Une réussite. Je me perdais dans mes pensées.

Je faillis ne pas entendre l’alerte...